Jérusalem est-elle une ville perdue ?

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Cet article est paru sur le site The Times of Israel français

En 2008, j’étais candidat aux élections municipales de Jérusalem sur la liste de Nir Barkat. Pendant la campagne, je m’étais étonné du soutien ouvert qu’apportait le journal de gauche Haaretz au candidat ultra-orthodoxe Meir Porush.

Voilà une alliance qui semblait a priori contre-nature: il aurait semblé plus normal que le journal de l’élite autoproclamée, ultra-laique, et généralement antireligieux, soutienne le candidat sioniste et laïque Barkat contre un ancien député de Yahadut HaTorah.

Mais le phénomène ne se limitait pas à Haaretz, d’autres médias, même si de façon moins ouverte, semblaient avoir pris le parti de Porush contre celui qui aurait pu apparaître comme leur candidat naturel.

Les journalistes de Haaretz voulaient que Porush gagne afin de pouvoir continuer à présenter Jérusalem comme un cas désespéré, perdu, sans avenir, une ville d’où la population laïque s’enfuit à grande vitesse, et en voie de « haredisation » avancée – comme les médias israéliens le font depuis plus de 20 ans.

Les motivations derrière ce récit sont diverses : nombrilisme tel avivien, haine de la tradition juive, et surtout, volonté de convaincre le public de diviser Jérusalem puisque c’est une ville peuplée uniquement de « haredim et d’Arabes ».

Mais qu’en est-il réellement ? Jérusalem est-elle vraiment « perdue » ?

Comme la plupart des mythes, celui-ci est basé sur quelques éléments exacts. Jérusalem est une des villes les plus pauvres d’Israel, où le taux d‘emploi, le revenu par habitant, le taux de réussite au bac israélien, et le taux de recrutement pour le service militaire sont nettement en dessous de la moyenne nationale.

Il y a beaucoup de juifs ultra-orthodoxes (haredim) à Jérusalem, et d’anciens quartiers du centre-ville ont changé de visage ces dernières décennies quand la population ultra-religieuse y est devenue majoritaire.

De même, depuis le début des années 90, la ville juive a réellement connu une immigration négative non-négligeable, avec une balance négative de l’ordre de 7 à 8,000 personnes par an.

Cependant, la majorité des départs se sont faits pour la banlieue de la ville et pour la Judée-Samarie, pas pour Tel Aviv ou le centre.

En soi, il s’agit d’un phénomène parfaitement classique pour les grandes villes. Les prix de l’immobilier sont la raison essentielle de cette émigration.

Jérusalem est une des villes les plus chères d’Israel malgré la relative pauvreté de ses habitants. On accuse souvent les acheteurs de résidence secondaire juifs français ou américains, mais leur influence est relativement marginale et limitée à quelques quartiers.

La réalité est plus simple: la population augmente vite mais le nombre de terrains constructibles est bas et les possibilités de constructions significatives très faibles.

Ajoutez à cela les tensions internationales chaque fois qu’on construit un appartement dans les quartiers juifs de la ville au-delà des « lignes de 1967 » (c’est-à-dire les lignes de 1949, mais on ne va pas demander aux journalistes de comprendre de quoi ils parlent), et vous comprenez que l’offre d’appartements ne peut pas croître aussi vite que la demande.

Or, une grande partie des gens qui ont quitté la ville, et en particulier des jeunes, étaient des ultra-orthodoxes. Ils se sont installés massivement à Beit Shemesh, ou dans diverses villes construites pour eux en Judée-Samarie.

Ainsi en 1993, les haredim représentaient 29 % de la population juive adulte de Jérusalem.

En 2008, malgré leur natalité très supérieure à la moyenne, ils n’étaient que 32 %, et en 2013, toujours autant – 32 % des adultes (35 % avec les enfants).

Nir Barkat a été élu en 2008.

Le nouveau dynamisme qui a été insufflé à la ville depuis 6 ans l’a tellement transformée qu’il n’est plus possible de nier l’extraordinaire vitalité de Jérusalem et de ses habitants au point que les hipsters de Tel Aviv en viennent à faire ce qu’ils n’auraient jamais imaginé auparavant et montent régulièrement sortir à Jérusalem. Education, culture, tourisme, business: tous les secteurs sont en pleine effervescence.

Sous Barkat, pour la première fois depuis le début des années 1990, le nombre d’élèves dans les écoles publiques sionistes et sionistes-religieuses a augmenté, tandis que certains rapports faisaient état d’une stagnation voire d’une baisse chez les ultra-orthodoxes.

Des dizaines de milliers d’emplois ont été créés dans la ville, la vie culturelle bat son plein et des projets urbains comme la park de l’ancien chemin de fer ont changé le visage de la ville et les rapports entre les habitants.

Pourtant, le phénomène d’émigration de la ville ne s’est apparemment pas ralenti, atteignant même un record en 2012 – une balance négative de près de 9,000 personnes : 19,000 départs pour 10,000 arrivées. Ces chiffres n’incluent pas les nouveaux immigrants, près de 3,000, ce qui porte en fait la balance migratoire négative à 6,000.

Il semble que cela soit dû à l’accélération des départs issus de la communauté ultra-orthodoxe et toujours à cause de l’immobilier. Près de la moitié des gens qui quittent la ville partent vivre dans des villes ultra-orthodoxes.

La municipalité ne voit pas d’un mauvais oeil le niveau élevé des prix de l’immobilier. Cela limite l’expansion de la population ultra-orthodoxe, qui est en moyenne assez pauvre, et attire une population aisée qui, contrairement aux précédents, paient leurs impôts locaux plein pot.

Ainsi, Jérusalem ne va pas devenir une nouvelle Bnei Brak. La population juive de la ville restera diverse, plurielle, et représentative de tout le pays.

Reste la question du rapport démographique entre Juifs et Arabes dans la ville. Aujourd’hui, les Arabes représentent officiellement 37% de la population de la ville contre 32% en 1996.

Les chiffres de la balance migratoire de Jérusalem ne concernent que les habitants juifs. Est-ce à dire que les habitants arabes ne bougent pas ? Pas vraiment, c’est juste qu’on ignore les vrais chiffres.

On ne sait pas combien d’Arabes habitent réellement à Jérusalem.

Rappelons d’abord que lorsqu’Israël a annexé Jérusalem-Est en 1967 puis étendu les frontières municipales de la ville dans toutes les directions, les Arabes qui se sont retrouvés dans la ville se sont vus accorder le statut de résidents permanents.

Ils jouissent de tous les droits et devoirs des citoyens normaux avec deux exceptions: ils peuvent voter aux élections municipales mais pas nationales, et s’ils quittent le territoire israélien ils perdent leur statut après 4 ans. Ils peuvent aussi devenir citoyens sur demande, ce que seule une petite minorité a fait jusqu’à présent.

Or, avant la seconde intifada, il était de notoriété publique que de nombreux Arabes qui déclaraient habiter à Jérusalem pour continuer à bénéficier du statut de résident permanent et de la sécurité sociale qui va avec, logeaient en fait dans les territoires, où les logements sont moins chers.

Avec la construction de la barrière de sécurité, nombreux sont ceux qui ont préféré revenir s’installer dans la ville, y compris certains qui n’ont jamais eu le statut de résident permanent. Combien ? Difficile à dire mais dans certains quartiers arabes les prix sont devenus supérieurs à ceux des quartiers juifs au point que des centaines d’Arabes sont allés y vivre, en particulier à la Guiva Hatsarfatit ou Pisgat Zeev.

La situation se complique par la fait que près de 40,000 Arabes, sur les 300,000 que compte la ville officiellement, vivent dans des quartiers de la ville au-delà du mur de séparation et sont donc en fait complètement coupés de la ville. Dans les faits, ces quartiers ne font plus partie de Jérusalem.

Donc, pour résumer: si des Arabes de Jérusalem quittent la ville, ils ne le déclarent pas pour ne pas perdre leur statut et sont donc toujours comptés comme résidents. Si d’autres s’y installent depuis les territoires, ils ne le déclarent pas non plus, car ils sont en situation illégale.

Lorsque Israel à la fin des années 1990 avait essayé de mettre de l’ordre et de vérifier systématiquement qui habitait ou pas à Jérusalem, les médias internationaux avaient commencé à parler de campagne « d’épuration ethnique » et le gouvernement avait préféré arrêter.

Depuis, des vérifications sont menées sporadiquement mais loin de pouvoir réellement évaluer la réalité sur le terrain.

Sur le plan démographique l’avenir est cependant plutôt favorable aux Juifs. Le rapport de force s’est inversé en matière de natalité puisque maintenant les femmes juives font plus d’enfants que les femmes arabes.

Ainsi en 2012, le taux de fécondité des juives atteignait 4,3 enfants contre 3,6 pour les femmes arabes. Dans tout Israel, les chiffres étaient respectivement de 3 et 3,3.

De plus, les possibilités de construire dans les quartiers arabes sont tout aussi faibles que dans les quartiers juifs. Comme déjà expliqué, les prix y deviennent insupportables pour une population plus pauvre que la moyenne. Conjuguée à la baisse de la natalité arabe, il est probable que la population arabe finira par se stabiliser.

Dans le pire des cas, il est toujours possible de modifier les limites municipales de la ville afin d’en exclure certains quartiers arabes périphériques, comme ceux qui sont au-delà de la barrière. Cela a déjà été fait plusieurs fois pour agrandir la ville, on peut le faire pour la rétrécir.

Le vrai changement pour la population arabe d’Israel interviendra quand les pouvoirs publics appliqueront ce qu’ils clament haut et fort, c’est-à-dire que la ville est unifiée, et fourniront aux quartiers arabes les mêmes infrastructures qu’aux quartiers juifs.

La mairie actuelle a commencé à rééquilibrer ses budgets et ses services en faveur de la population arabe. Mais cela nécessité beaucoup de patience et de dialogue, la population arabe ayant aussi tendance à rejeter les améliorations qui lui sont proposées et à refuser de travailler en respectant la loi et les réglementations.

Au final, les problèmes de Jérusalem, en particulier la pauvreté relative de sa population et le manque d’emplois à hauts revenus, sont toujours présents.

Mais aujourd’hui, la ville semble engagée sur une nouvelle voie qui permet d’espérer plus de prospérité pour tous ses habitants, et nous ne sommes sans doute qu’au début d’une véritable révolution qui va transformer radicalement le visage de la ville.

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